Cohen tourne la page

Après avoir entraîné pendant trois ans l’UST, une saison comme adjoint de Julien Darthevel, puis les deux suivantes comme coach principal, Franck Cohen a décidé de mettre un terme à ses fonctions en fin de saison. Explications.

Pour la énième fois depuis son arrivée en Touraine, en août 2018, Franck Cohen a effectué, samedi dernier, le trajet entre Orléans, où il habite et Tours, où il entraîne. Contrairement aux habitudes, le gamin de Nuits sur Armançon dans l’Yonne a la boule au ventre. Au terme du petit galop d’entraînement à la Chambrerie, Cohen a décidé d’avertir la vingtaine de joueurs présents, qu’après avoir longuement réfléchi, il avait décidé d’arrêter sa mission en fin de saison.

D’habitude si détendu, si jovial, en arrivant au stade, Franck a subitement l’air gêné, on le sent malheureux. Plusieurs sentiments s’entrechoquent brusquement dans sa tête et, notamment, celui d’abandonner ses joueurs, nous glissera l’un d’eux par la suite.

« C’est un moment particulier, confesse Franck, pris par l’émotion, car tu verbalises que tu vas arrêter une merveilleuse aventure de trois saisons avec une soixantaine de personnes. » Après avoir partagé un petit casse croûte improvisé à la hâte et partagé un moment de bonheur avec les membres de son staff, à savoir Thierry Neveu, Sébastien Vélez, Christophe Courtillé et Pascal Sassi, le patron du rugby tourangeau s’est livré avec franchise. Morceaux choisis.

Cohen n’a pas voulu tricher. « C’est un choix mûrement réfléchi, mais la décision a été dure à prendre, avoue Franck en préambule. J’en ai mal dormi plus d’une nuit. A Tours, j’ai pris beaucoup de plaisir à bosser avec les dirigeants, mon staff, mes joueurs et les bénévoles. Pour être franc, je sens que je n’ai plus la flamme et que l’essence commence à manquer dans le moteur. Faire les trajets plusieurs fois par semaine sans objectif réel me pèse de plus en plus. J’ai la sensation de ne plus prendre de plaisir. Pire, j’ai l’impression de faire la route uniquement pour venir m’occuper. La crise sanitaire, le confinement et, enfin, le couvre feu ont, sans aucun doute, joué un rôle déterminant dans ma décision.

« Compliqué de mener de front trois agendas… » « Je pensais qu’on pourrait rejouer, avance Cohen, mais j’en doute. Raisonnablement, je pense que nous nous dirigeons vers une saison blanche. Déjà, lors de la reprise de l’entraînement, fin août début septembre, j’ai senti qu’il m’était de plus en plus compliqué de gérer l’école de ma fille, mon job d’agent immobilier et mon statut d’entraîneur à l’UST. Mener de front ces trois agendas m’obligeait à beaucoup d’acrobaties. Je ne suis pas un surhomme et je sens que je fatigue. Aussi, je n’ai pas envie d’attendre d’exploser pour arrêter. Alors, par respect pour l’UST, un club que j’aime profondément et pour ses dirigeants, je n’ai pas voulu tricher. Il aurait été stupide de patienter et de mettre Tours dans l’embarras. Je veux que Benoît (Sébillet) et son équipe soient au courant rapidement pour qu’ils puissent s’organiser tranquillement pour préparer le futur et que la solution prise ne soit pas du dépannage. Je suis triste d’arrêter, mais, c’est la vie, un entraîneur n’est que de passage. »

« Le rugby a toujours dicté ma vie. » Usé, Cohen l’est certainement, mais le terrain risque de lui manquer. « J’ai besoin de souffler et de passer des soirées en famille avec Sophie, ma femme, et Paul (12 ans) et Eva (10 ans), mes deux enfants, lâche-t-il. J’ai promis à ma fille que je n’entraînerai plus à la rentrée. Pas simple, car je pense que le terrain va me manquer. J’ai commencé le rugby à quatre ans. Ce jeu a toujours dicté ma vie, mais, actuellement, il m’apporte plus de contraintes que de plaisir. Alors autant mettre la flèche, l’heure est venue. »

Un profond attachement à l’UST. Avant de prévenir ses joueurs, afin qu’ils n’apprennent pas la nouvelle par les réseaux sociaux, Cohen ne peut s’empêcher de revenir en arrière. « Après avoir oeuvré pendant douze ans comme entraîneur à Orléans, j’étais un peu usé, d’autant que l’aventure s’était mal terminée. En fait, je voulais tout stopper. Quand Olivier (Esterez) m’a sollicité, il m’a vite convaincu et j’ai vite replongé. Par passion, mais aussi par amour pour l’UST, même si je suis Orléanais d’adoption et membre du club rival. Je trouvais l’aventure intéressante et je pensais que je pouvais apporter mon expérience. » L’avenir le confirmera. Cohen et son jeu chatoyant redonnera des couleurs au rugby tourangeau.

«  Ne pas monter en Fédérale 2, voilà mon grand regret. » Cette saison tronquée lui laissera certainement un brin d’amertume, voire un goût d’inachevé. « Nous étions invaincus, se remémore Cohen. Avec un bilan prometteur de six victoires. Deuxième derrière Nantes sur le plan national. Nous avions fait venir Jerémy Lynch, un solide deuxième ligne australien. Nous aurions récupéré tous nos blessés. Tous les rêves de montée étaient permis. Tout se passait bien. Il ne manquait que le plaisir de jouer et de gagner. Cette coupure de trois mois a tout remis en question. C’est rageant. Ne pas monter sportivement, voilà mon grand regret. J’espère qu’on pourra rejouer et qu’on ne finira pas là dessus. Le club avait tellement investi. Il méritait d’être récompensé. »

« L’UST parviendra à monter sans moi. » Au moment de tourner la page, Cohen envisage l’avenir avec sérénité. « Les gens en place ont la compétence pour prendre le relais, assure le général manager. Choco (NDLR : Vélez) et Pascal (Sassi) sont suffisamment grands pour tenir ce rôle. Si je décide de partir, c’est que j’estime que le club a les ressources autour de lui pour continuer sa route. La dynamique est là. Nous avons deux équipes performantes et de qualité. Avec une quarantaine de joueurs régulièrement à l’entraînement en période normale. C’est la preuve d’une bonne santé. Le staff s’avère de qualité. Avoir réussi à remettre de l’ordre dans la maison constitue ma plus belle satisfaction. Je ne suis pas inquiet. Le club arrivera à monter en Fédérale 2 sans moi. Plus tard, j’aurai plaisir à aller voir les Tourangeaux au stade Marcel-Garcin, en Fédérale 2, contre Orléans, l’ennemi juré. Dans mon cœur, l’UST gardera toujours une place à part. J’ai tellement bien été accueilli. »

BERTRAND BOURGEAULT

Cinq ans séparent les deux amis, Franck Cohen (à g.) et Sébastien Vélez (à dr.), les deux coachs de l’UST. Cliché vintage, la saison prochaine, seul le second sera encore au club (Photo Philippe Maître).